Trois professeurs inspirants

Quand Martin St-Louis a été nommé entraîneur par intérim du Canadien de Montréal, il n’avait jamais dirigé une équipe professionnelle. Lors d’une conférence de presse, il avait déclaré : « Je le sais que je n’ai aucune expérience derrière le banc, mais j’ai beaucoup d’expérience sur le banc, dans un vestiaire et sur la glace. »[1]

Ce propos m’avait fait penser à mes débuts dans l’enseignement, il y a de cela 20 ans déjà. Je n’avais ni fait de stage ni suivi de cours de pédagogie. Je ne pouvais donc que me baser sur mon vécu d’étudiant. Heureusement pour moi, le hasard avait mis sur mon chemin des professeurs marquants. Je voudrais rendre hommage à trois d’entre eux dans les lignes qui suivent.

Selon la légende, Saint-Exupéry aurait été inspiré, pour créer son personnage du Petit Prince, par le jeune Thomas De Koninck.[2] Celui-ci est devenu un professeur-chercheur qui n’a rien perdu de sa curiosité. En le voyant pour la première fois, dans l’amphithéâtre du pavillon Ferdinand-Vandry à l’Université Laval, j’avais l’impression d’avoir devant moi un sage tout droit sorti de la Grèce antique!  

J’ai eu la chance de suivre plusieurs cours de M. De Koninck : Platon, Descartes, la philosophie de l’éducation, la dignité humaine. En début de session, on devait se procurer le volumineux recueil de textes qu’il avait concocté. J’aimais le fait qu’il choisisse des extraits variés, tirés des grands classiques ou d’ouvrages contemporains. Cet érudit nous citait régulièrement, par cœur, des auteurs dans la langue originale du texte. Pour mon plus grand bonheur, il avait reçu dans l’un de ses cours son ami l’essayiste canadien John Saul.  

M. De Koninck ne faisait pas qu’enseigner l’humanisme, il l’incarnait. Toujours il s’adressait avec respect à ses étudiants. Même quand quelqu’un lui posait une question plus ou moins pertinente, il trouvait le moyen de la reformuler pour le bénéfice du groupe. Le récipiendaire du prix La Bruyère de l’Académie française était également un professeur juste, avec lequel on pouvait aspirer à avoir une bonne note si on mettait les efforts nécessaires. Et si on avait besoin d’un délai supplémentaire pour la remise d’un travail, il nous l’accordait volontiers. Je trouvais cette approche plus motivante que celle des enseignants trop sévères ou trop rigides.

Une autre qualité de mon professeur était sa mémoire d’éléphant pour les prénoms. Je me souviens l’avoir croisé, dans les corridors souterrains de l’université, alors que je commençais mon baccalauréat. Il m’a dit : « Bonjour Dany! » Cela m’avait à la fois surpris et touché : M. De Koninck savait qui j’étais!

Si j’ai étudié en philosophie, c’est parce que j’ai adoré mon troisième cours de philosophie au collégial : Éthique et politique. Mon professeur, Ronny O’Mara, était un homme posé qui savait capter notre attention. C’est en partie grâce à lui que j’ai développé un intérêt pour la politique. J’adorais quand il commentait l’actualité, par exemple l’arrivée de Jean Charest à la tête du Parti libéral du Québec. Ses interventions étaient tout aussi pertinentes dans les cafés philo, au deuxième étage du Bistro de Trois-Rivières. Ceux-ci étaient animés avec brio par son collègue Pierre Michaud (qui m’avait donné un merveilleux cours d’histoire de l’art).

Plutôt que de nous faire acheter un manuel, M. O’Mara avait mis trois œuvres au programme : L’Utopie de Thomas More, La généalogie de la morale de Friedrich Nietzsche et Terrorisme et beauté d’Alexis Klimov. Je les ai dévorés! Il fallait beaucoup de doigté pour accompagner des cégépiens dans le livre de Nietzsche. Tandis que certains n’y ont vu qu’un plaidoyer fasciste, mon professeur avait une approche nuancée. Pour parler comme le philosophe allemand, il avait su « pratiquer la lecture comme un art », c’est-à-dire « ruminer »![3]

Sur invitation de M. O’Mara, Alexis Klimov était venu s’adresser à notre petit groupe de sciences, lettres et arts. Dans les années 1990, on enseignait peu la philosophie québécoise. Si L’inquiétude humaine de Jacques Lavigne a connu une récente réédition, il faudrait réserver le même traitement à Terrorisme et beauté, un ouvrage profond qui part de la formule de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde. »

Ma quatrième session au Collège Laflèche a été inoubliable. À mes yeux, la vocation de professeur a un nom : Christian Bouchard. Je n’avais pas la piqûre pour la littérature, mais cet homme à la voix radiophonique et au français impeccable a su me la faire aimer pour la vie. Il avait le don tant de nous faire rire que de nous émouvoir et d’alimenter notre réflexion. Chacun de ses cours débutait par une citation, un rituel que j’ai repris comme enseignant.

Je garde précieusement dans ma bibliothèque les œuvres que M. Bouchard nous avait fait lire : L’orange mécanique d’Anthony Burgess, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et La nuit d’Elie Wiesel. Ce témoignage d’un rescapé des camps de la mort m’avait bouleversé et fait réaliser les atrocités que l’être humain peut infliger à son semblable. Signe de l’influence qu’ont eu MM. O’Mara et Bouchard dans mon parcours, j’ai consacré mon mémoire de maîtrise à Nietzsche et au nazisme.  

Mon professeur de littérature avait une plume magnifique. À l’époque, je ne manquais jamais de lire ses excellentes chroniques du Nouvelliste. En ce qui me concerne, j’écrivais pour le journal étudiant. M. Bouchard prenait le temps de me recevoir à son bureau, afin de commenter mes textes et de proposer des améliorations. C’est un peu de sa faute si je passe un temps fou à relire chacune de mes phrases (mais pas si je surutilise les points d’exclamation)!

À la fin de la session, M. Bouchard – que j’appelle aujourd’hui Christian – nous parlait de son amour pour l’enseignement et il avait tenu à peu près ce langage : « Dire que je suis payé pour faire ça! » Je comprends pourquoi aujourd’hui.

J’étais un étudiant ayant peu de concentration qui s’endormait facilement en classe. Or, dans les cours de mes trois illustres maîtres, j’étais totalement présent d’esprit! Ils m’ont appris que la culture est une riche nourriture de l’esprit et m’ont donné le goût des études. Pour m’avoir permis de devenir qui je suis, je les remercie.

Dany Lavigne, le 22 juillet 2023


[1] Richard Labbé, « Martin St-Louis ne veut pas être que de passage », La Presse, 20 février 2022, https://www.lapresse.ca/sports/hockey/2022-02-10/le-canadien/martin-st-louis-ne-veut-pas-etre-que-de-passage.php

[2] Kim Chabot, « Thomas De Koninck est-il le Petit Prince? », Impact Campus, 21 septembre 2015, http://impactcampus.ca/arts-et-culture/capsule-historique-thomas-de-koninck-est-il-le-petit-prince/

[3] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Trad. I. Hildenbrand et J. Gratien, Paris, Gallimard, 1996, p.17.

A propos danylavigne

Bonjour! J'enseigne la philosophie au Cégep de Lanaudière à Terrebonne. Afin de ne pas toujours être dans le rôle de celui qui critique les textes des autres - c'est-à-dire celui du correcteur - et surtout parce que j'adore écrire, vous trouverez ici le fruit de mes réflexions. Comme j'ai un côté Greta Thunberg, mon sujet de prédilection est l'environnement. Au plaisir de lire vos commentaires! Dany
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14 commentaires pour Trois professeurs inspirants

  1. Lisange Boutin dit :

    Je suis totalement d’accord! Ce sont les bons professeurs qui nous donnent le goût d’apprendre et donc de choisir notre future carrière. Dans votre situation, ce sont ces merveilleux enseignants qui vous ont donnés le goût de la littérature et regarder où vous en êtes! J’ai aussi apprécié énormément le livre Fahrenheit 451, qui m’a aussi été imposé par un professeur. Bref, j’ai hâte de voir ce que cette année en philosophie et rationalité me réserve, car vous m’avez l’air d’un professeur aussi passionné et intéressant que vos enseignants passé.

    • danylavigne dit :

      Ne me mets pas la barre trop haute, je t’en prie! Sérieusement, je suis heureux de voir que tu amorces la session avec l’envie d’explorer les théories au programme. J’espère que le cours va te plaire.

  2. Félix Gauthier dit :

    Hâte de faire le cours d’Éthique et Politique avec vous comme professeur. Vous m’avez l’aire passionné par votre travail.

  3. kenya tremblay dit :

    Je suis d’accord que les professeurs inspirants et marquants nous donnent le goût d’apprendre davantage jusqu’à en développer des intérêts et des passions, parfois même à en faire une profession. Ce qui a été votre cas! Vous avez eu de bons modèles sur qui vous inspirer pour devenir le bon professeur que vous êtes aujourd’hui! J’aime que vous nous ayez concocté, comme l’a fait votre professeur M. De Koninck, un recueil de textes avec plusieurs extraits variés! Je suppose que vous vous êtes inspiré des meilleurs!

    • danylavigne dit :

      Merci pour le bon mot! On a beau dire que le système d’éducation va plus ou moins bien au Québec, il reste qu’il y a toujours des bon.nes enseignant.es, et pas seulement dans les écoles les mieux classées du palmarès.

  4. Philippe Kay dit :

    C’est vraie qu’avoir un bon professeur est quelque chose de très important dans le parcours scolaire d’un étudiant. En effet, ce dernier ne se contente pas d’enseigner des faits, mais il sait comment rendre les leçons intéressantes et adaptées à tout le monde. Son impact va au-delà des notes, car il inspire la curiosité et il nous aide à trouver le chemin vers la réussite. Un bon professeur n’est pas seulement un transmetteur de connaissances, mais un modèle qui aide les élèves à grandir et à s’améliorer.

    • danylavigne dit :

      Comme c’est bien dit! Tu as raison de souligner que la relation étudiant-enseignant ne se limite pas à une question de notes. Si je pense à mon troisième cours de philosophie au collégial, ma note finale était dans la moyenne. Mais mon professeur, de par les qualités que tu mentionnes, m’a amené à choisir d’aller étudier en philosophie à l’université. Un choix que je n’ai jamais regretté.

  5. Jérémie Delisle dit :

    Je suis totalement en accord avec vous! L’enseignement est plus que seulement expliquer la matière au programme, un professeur dynamique peut avoir un réel impact sur le parcours d’un étudiant. Comme vous l’avez mentionner avec l’exemple de votre professeur de philosophie, un enseignant qui est capable de favoriser la curiosité sur les notions qu’il enseigne de la part des élèves peut vraiment faire en sorte qu’un étudiant sorte avec un certain bagage de connaissances et/ou un nouvel intérêt de ce cours, peut-importe la note obtenu. Si je prend l’exemple de mes cours de programme (Techniques de comptabilité et de gestion), je ne pensait aucunement aimé la comptabilité, mais à ma grande surprise, j’ai eu la chance d’avoir un professeur qui avait la réussite de ses élève à cœur. Elle donnait des exemples de cas comptable de la vie réelle, concernant son expérience professionnel antérieur, ce qui m’a permis de rendre leur cours plus enrichissant et de contribuer à augmenter mon intérêt pour cette notion. Bref, un bon professeur peut avoir un impact sur le parcours d’un étudiant.

    • danylavigne dit :

      Je ne suis pas surpris de ton témoignage, puisque je sais que mes collègues de comptabilité gestion forment une bonne équipe! Il est vrai que c’est une « plus-value » qu’un enseignant témoigne de son expérience professionnelle. Cela permet de rendre la théorie plus concrète.

  6. Karim eddoughmi dit :

    Interessant comme point de vu

  7. Théo Lemieux dit :

    Je suis entièrement en accord avec vous. J’aime surtout le fait que vous comparez le hockey (entraineur) avec les professeurs à l’école. Comme je suis moi-même joueur d’hockey ayant côtoyer plusieurs entraineurs, il est absolument vrai que leur manière de faire les choses et la relation qu’ils peuvent avoir avec les jeunes influencent la réussite et le vouloir des élèves/athlètes. Selon moi, ceux qui parviennent le mieux à avoir un impact sur nos vies sont ceux qui ont le côté humain le plus développé et ceux qui développent une empathie pour ce qu’on peut vivre dans la vie de tout les jours, car les vies des jeunes adolescents sont parfois très mouvementées. Du moins de ce que je peux en retenir, les entraineurs et les professeurs qui m’ont grandement marqués depuis mon existence sont des personnes comme Martin St-Louis, apprécié de tout le monde pour diverses raisons comme pour son côté de grand communicateur. Pour résumé, je suis d’avis tout comme vous qu’un excellent enseignant peut avoir un impact sur le parcours académique d’un jeune étudiant.

    • danylavigne dit :

      Tu parles de l’empathie et j’ai l’impression que c’est une qualité que les entraîneurs (et les professeurs) doivent effectivement avoir maintenant. Si on regarde même au plus haut niveau, dans la LNH, les entraîneurs de « la vieille école » qui n’ont pas su s’adapter, comme Mike Babcock, n’ont plus tellement de succès. La peur et le contrôle ne permettent pas d’avoir le meilleur des joueurs.

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