Trois professeurs inspirants

Quand Martin St-Louis a été nommé entraîneur par intérim du Canadien de Montréal, il n’avait jamais dirigé une équipe professionnelle. Lors d’une conférence de presse, il avait déclaré : « Je le sais que je n’ai aucune expérience derrière le banc, mais j’ai beaucoup d’expérience sur le banc, dans un vestiaire et sur la glace. »[1]

Ce propos m’avait fait penser à mes débuts dans l’enseignement, il y a de cela 20 ans déjà. Je n’avais ni fait de stage ni suivi de cours de pédagogie. Je ne pouvais donc que me baser sur mon vécu d’étudiant. Heureusement pour moi, le hasard avait mis sur mon chemin des professeurs marquants. Je voudrais rendre hommage à trois d’entre eux dans les lignes qui suivent.

Selon la légende, Saint-Exupéry aurait été inspiré, pour créer son personnage du Petit Prince, par le jeune Thomas De Koninck.[2] Celui-ci est devenu un professeur-chercheur qui n’a rien perdu de sa curiosité. En le voyant pour la première fois, dans l’amphithéâtre du pavillon Ferdinand-Vandry à l’Université Laval, j’avais l’impression d’avoir devant moi un sage tout droit sorti de la Grèce antique!  

J’ai eu la chance de suivre plusieurs cours de M. De Koninck : Platon, Descartes, la philosophie de l’éducation, la dignité humaine. En début de session, on devait se procurer le volumineux recueil de textes qu’il avait concocté. J’aimais le fait qu’il choisisse des extraits variés, tirés des grands classiques ou d’ouvrages contemporains. Cet érudit nous citait régulièrement, par cœur, des auteurs dans la langue originale du texte. Pour mon plus grand bonheur, il avait reçu dans l’un de ses cours son ami l’essayiste canadien John Saul.  

M. De Koninck ne faisait pas qu’enseigner l’humanisme, il l’incarnait. Toujours il s’adressait avec respect à ses étudiants. Même quand quelqu’un lui posait une question plus ou moins pertinente, il trouvait le moyen de la reformuler pour le bénéfice du groupe. Le récipiendaire du prix La Bruyère de l’Académie française était également un professeur juste, avec lequel on pouvait aspirer à avoir une bonne note si on mettait les efforts nécessaires. Et si on avait besoin d’un délai supplémentaire pour la remise d’un travail, il nous l’accordait volontiers. Je trouvais cette approche plus motivante que celle des enseignants trop sévères ou trop rigides.

Une autre qualité de mon professeur était sa mémoire d’éléphant pour les prénoms. Je me souviens l’avoir croisé, dans les corridors souterrains de l’université, alors que je commençais mon baccalauréat. Il m’a dit : « Bonjour Dany! » Cela m’avait à la fois surpris et touché : M. De Koninck savait qui j’étais!

Si j’ai étudié en philosophie, c’est parce que j’ai adoré mon troisième cours de philosophie au collégial : Éthique et politique. Mon professeur, Ronny O’Mara, était un homme posé qui savait capter notre attention. C’est en partie grâce à lui que j’ai développé un intérêt pour la politique. J’adorais quand il commentait l’actualité, par exemple l’arrivée de Jean Charest à la tête du Parti libéral du Québec. Ses interventions étaient tout aussi pertinentes dans les cafés philo, au deuxième étage du Bistro de Trois-Rivières. Ceux-ci étaient animés avec brio par son collègue Pierre Michaud (qui m’avait donné un merveilleux cours d’histoire de l’art).

Plutôt que de nous faire acheter un manuel, M. O’Mara avait mis trois œuvres au programme : L’Utopie de Thomas More, La généalogie de la morale de Friedrich Nietzsche et Terrorisme et beauté d’Alexis Klimov. Je les ai dévorés! Il fallait beaucoup de doigté pour accompagner des cégépiens dans le livre de Nietzsche. Tandis que certains n’y ont vu qu’un plaidoyer fasciste, mon professeur avait une approche nuancée. Pour parler comme le philosophe allemand, il avait su « pratiquer la lecture comme un art », c’est-à-dire « ruminer »![3]

Sur invitation de M. O’Mara, Alexis Klimov était venu s’adresser à notre petit groupe de sciences, lettres et arts. Dans les années 1990, on enseignait peu la philosophie québécoise. Si L’inquiétude humaine de Jacques Lavigne a connu une récente réédition, il faudrait réserver le même traitement à Terrorisme et beauté, un ouvrage profond qui part de la formule de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde. »

Ma quatrième session au Collège Laflèche a été inoubliable. À mes yeux, la vocation de professeur a un nom : Christian Bouchard. Je n’avais pas la piqûre pour la littérature, mais cet homme à la voix radiophonique et au français impeccable a su me la faire aimer pour la vie. Il avait le don tant de nous faire rire que de nous émouvoir et d’alimenter notre réflexion. Chacun de ses cours débutait par une citation, un rituel que j’ai repris comme enseignant.

Je garde précieusement dans ma bibliothèque les œuvres que M. Bouchard nous avait fait lire : L’orange mécanique d’Anthony Burgess, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et La nuit d’Elie Wiesel. Ce témoignage d’un rescapé des camps de la mort m’avait bouleversé et fait réaliser les atrocités que l’être humain peut infliger à son semblable. Signe de l’influence qu’ont eu MM. O’Mara et Bouchard dans mon parcours, j’ai consacré mon mémoire de maîtrise à Nietzsche et au nazisme.  

Mon professeur de littérature avait une plume magnifique. À l’époque, je ne manquais jamais de lire ses excellentes chroniques du Nouvelliste. En ce qui me concerne, j’écrivais pour le journal étudiant. M. Bouchard prenait le temps de me recevoir à son bureau, afin de commenter mes textes et de proposer des améliorations. C’est un peu de sa faute si je passe un temps fou à relire chacune de mes phrases (mais pas si je surutilise les points d’exclamation)!

À la fin de la session, M. Bouchard – que j’appelle aujourd’hui Christian – nous parlait de son amour pour l’enseignement et il avait tenu à peu près ce langage : « Dire que je suis payé pour faire ça! » Je comprends pourquoi aujourd’hui.

J’étais un étudiant ayant peu de concentration qui s’endormait facilement en classe. Or, dans les cours de mes trois illustres maîtres, j’étais totalement présent d’esprit! Ils m’ont appris que la culture est une riche nourriture de l’esprit et m’ont donné le goût des études. Pour m’avoir permis de devenir qui je suis, je les remercie.

Dany Lavigne, le 22 juillet 2023


[1] Richard Labbé, « Martin St-Louis ne veut pas être que de passage », La Presse, 20 février 2022, https://www.lapresse.ca/sports/hockey/2022-02-10/le-canadien/martin-st-louis-ne-veut-pas-etre-que-de-passage.php

[2] Kim Chabot, « Thomas De Koninck est-il le Petit Prince? », Impact Campus, 21 septembre 2015, http://impactcampus.ca/arts-et-culture/capsule-historique-thomas-de-koninck-est-il-le-petit-prince/

[3] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Trad. I. Hildenbrand et J. Gratien, Paris, Gallimard, 1996, p.17.

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Art et environnement

Le groupe écologiste Just Stop Oil aura beaucoup fait parler de lui en 2022, avec ses nombreux coups d’éclat dans les musées. Sa mission : faire pression sur le gouvernement britannique afin qu’il interdise l’exploration et la production pétrolière.[1]

Tout a commencé le 29 juin, alors que deux de ses membres, de jeunes adultes, sont entrés à la Kelvingrove Art Gallery de Glasgow. Ils ont fait un graffiti sur le mur, puis se sont collé une main au cadre d’une toile d’Horatio McCulloch. Le choix de la ville était symbolique : Glasgow avait été le théâtre, en 2021, d’un autre sommet sur le climat pour le moins décevant. En l’espace d’une semaine, des membres du collectif ont ciblé quatre autres œuvres dans différents musées britanniques, en suivant sensiblement le même procédé.[2]

Le 14 octobre, deux militants, toujours de Just Stop Oil, ont lancé de la soupe Campbell sur les Tournesols de Van Gogh.[3] Ils ont vite été imités par d’autres. En Allemagne, un Monet a eu droit à de la purée de pommes de terre, gracieuseté du groupe Last Generation.[4] Plus près de nous, à Vancouver, des membres de Stop Fracking Around ont plutôt opté pour le sirop d’érable.[5] À chaque fois, les militants ont profité de leur 15 minutes de gloire pour affirmer haut et fort leur opposition aux énergies fossiles.

Ma première réaction est d’avoir été un peu choqué. Surtout que les images que j’ai d’abord vues laissaient penser que les œuvres étaient des pertes totales. Heureusement, celles-ci n’ont pas été endommagées (à l’exception du cadre des Tournesols qui a subi des dégâts mineurs). Elles étaient protégées par une vitre et l’action militante avait été prévue en conséquence.[6]

La toujours pertinente chroniqueuse du Devoir, Aurélie Lanctôt, m’a amené à voir les choses de façon nuancée. Dans un texte, elle rapporte qu’une vingtaine de militants du collectif Antigone ont occupé le terminal pétrolier de la société Valero, à Montréal-Est. Pendant près de 24 heures, alors qu’il faisait un froid mordant, ils se sont enchaînés à un conteneur et ont bloqué l’accès au quai de chargement de la ligne 9B de l’oléoduc Enbridge. Cette action de désobéissance civile a reçu beaucoup moins d’attention médiatique que les tableaux éclaboussés. Lanctôt conclut sa chronique en faisant remarquer qu’on exige des militants pour le climat qu’ils s’en prennent aux vrais responsables sans déranger le brave monde : « Or, lorsqu’ils font exactement cela, on les ignore. Cette double contrainte nous donne l’exacte mesure du péril auquel nous faisons face. »[7]

Il semble aussi qu’on ait peu porté attention au propos des écologistes dans les musées, alors que leur message mérite réflexion. « Qu’est-ce qui a le plus de valeur? L’art ou la vie? », a demandé une militante.[8] Quelle belle question philosophique! J’estime, pour ma part, que la cause environnementale est au-dessus de toutes les autres. Il s’agit, après tout, de défendre les conditions qui permettent le maintien de la vie sur Terre. Si on échoue, il n’y aura plus d’art, ou en tout cas plus personne pour apprécier l’art…

Je comprends ce qui a pu pousser ces jeunes à faire du vandalisme dans les musées et j’admire leur audace. Loin de moi l’idée de vouloir leur faire la morale. Mais il reste que de telles actions laissent une étrange perception dans l’esprit du public : celle que les écologistes s’en prennent à des œuvres d’art. Un des principes de base de toute lutte est de ne pas attaquer ses alliés. Or, le milieu artistique me paraît majoritairement du côté des environnementalistes. Juste au Québec, plusieurs noms nous viennent à l’esprit : Dominic Champagne, François Bellefeuille, Édith Cochrane, Gabrielle Filteau-Chiba, Anaïs Barbeau-Lavalette, etc. Que dirait-on si quelqu’un montait sur scène lors d’un spectacle des Cowboys Fringants et arrachait le micro des mains du chanteur pour crier : « Non au pétrole! » À mes yeux, lancer de la soupe sur un Van Gogh revient un peu au même.

Durant les manifestations pour le climat, on peut entendre de la musique festive et apercevoir des affiches créées avec un souci esthétique. Cela m’amène à penser que le monde que cherchent à construire les écologistes accorde une place de choix à l’art.

Dany Lavigne, le 8 mars 2023


[1] https://juststopoil.org/ (page consultée le 19 janvier 2023)

[2] Agathe Hakoun, « Grande-Bretagne : des militants écologistes se collent à des chefs-d’œuvre pour alerter sur le climat », Connaissance des arts, 6 juillet 2022, https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/londres/grande-bretagne-des-militants-ecologistes-se-collent-a-des-chefs-doeuvre-pour-alerter-sur-le-climat-11175073/

[3] Agence France-Presse, « Des militants écologistes ont jeté de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh », La Presse, 14 octobre 2022, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-10-14/londres/des-militants-ecologistes-ont-jete-de-la-soupe-sur-les-tournesols-de-van-gogh.php

[4] Associated Press, « Allemagne: des militants jettent de la purée de pommes de terre sur un Monet », Le Soleil, 23 octobre 2022, https://www.lesoleil.com/2022/10/23/allemagne-des-militants-jettent-de-la-puree-de-pommes-de-terre-sur-un-monet-video-48187da0f5721b22fce36532f2b64cc4

[5] « Des militantes écologistes lancent du sirop d’érable sur une toile d’Emily Carr », Radio-Canada, 12 novembre 2022, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1932294/emily-carr-vandalisme-tableau-musee-vancouver

[6] Valérie Boisclair, « De soupe et de purée : pourquoi les militants écologistes ciblent-ils les musées? », Radio-Canada, 26 octobre 2022, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927667/actions-militants-musee-oeuvres-art-monet-van-gogh-explications

[7] Aurélie Lanctôt, « La soupe chaude », Le Devoir, 21 octobre 2022, https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/766153/chronique-la-soupe-chaude

[8] Lucie Oriol, « Les « Tournesols » de Van Gogh aspergés : pourquoi les activistes du climat s’en prennent aux œuvres d’art », Huffpost, 14 octobre 2022, https://www.huffingtonpost.fr/environnement/article/les-tournesols-de-van-gogh-asperges-pourquoi-les-activistes-du-climat-s-en-prennent-aux-uvres-d-art_208982.html

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Une planète

L’an dernier, le Jour du dépassement a été atteint 29 juillet. Selon l’ONG Global Footprint Network, il s’agit de la date à partir de laquelle l’être humain a épuisé les ressources naturelles que la planète peut générer en une année. Autrement dit, 1,7 planètes auraient été nécessaires pour répondre aux besoins de l’humanité.[1]

Un calcul aussi complexe que celui du Jour du dépassement est nécessairement approximatif. Il reste que cet exercice est le fruit du travail rigoureux de climatologues, d’économistes, d’agronomes, d’ingénieurs forestiers, d’experts en minerais, etc. Ces experts nous avertissent que l’humanité est surendettée depuis des années. Et, mis à part la parenthèse « covidienne » de 2020, le jour fatidique arrive de plus en plus tôt.[2]

Une information qui est moins médiatisée est le Jour du dépassement par pays. À cet égard, le Canada fait partie des cancres.  Nous sommes – à égalité avec les États-Unis et les Émirats Arabes Unis – le troisième pays à avoir atteint la date fatidique le plus rapidement cette année. C’était le 13 mars 2022.[3]  Moins d’un mois plus tard, le gouvernement Trudeau annonçait qu’il approuvait le projet pétrolier Bay du Nord, au large des côtes de Terre-Neuve. Selon les estimations, plus de 300 millions de barils de pétrole seront exploités d’ici 2058, s’ajoutant à ceux issus des sables bitumineux de l’Alberta.[4] C’est à se demander si notre ambitieux premier ministre n’aspire pas à la première place du palmarès, devant le Qatar?

Chaque individu peut calculer son propre Jour du dépassement grâce au calculateur de Global Footprint Network.[5] Je me suis prêté au jeu. Malgré qu’il soit parfois difficile de répondre avec exactitude à certaines questions, il reste que ça donne un bon aperçu de notre empreinte écologique. Mon résultat est extrêmement gênant pour quelqu’un qui milite dans le mouvement écologiste depuis des années. Si tout le monde vivait comme moi, il faudrait… 4 planètes. Et pourtant, lorsque je me compare aux autres habitants de mon quartier, j’ai l’impression d’avoir un train de vie modeste. J’habite un semi-détaché plus petit que la plupart des bungalows de banlieue. Ma femme et moi partageons une berline qui consomme moins d’essence que les VUS majoritaires sur nos routes. J’ai presque complètement cessé de manger du bœuf et je ne prends jamais l’avion. Il reste que, globalement, mon mode de vie est assez typique de celui des gens de la classe moyenne.

L’objectif, autant à l’échelle individuelle que collective, m’apparaît clair : on doit cesser d’atteindre le Jour du dépassement. Que l’on me comprenne bien. Ceci n’est pas une énième invitation à un vague virage vert. Je veux un projet de décroissance radicale, un renversement des valeurs!

Est-ce réaliste? Dans son livre Le bug humain, le neurobiologiste Sébastien Bohler explique que l’être humain est en bonne partie déterminé par son cerveau. À chaque fois que l’on a un comportement tourné vers la survie à brève échéance, le striatum nous envoie un jet de dopamine. Cela a pour effet de nous procurer un sentiment de plaisir et de renforcer les circuits neuronaux qui ont supervisé l’opération avec succès. Si ce mécanisme nous a été utile durant la plus grande partie de notre évolution, il est maintenant en train de nous détruire : « En élaborant des technologies sophistiquées, que ce soit dans le domaine alimentaire, de l’information ou de la production de biens matériels, [le] cortex est aujourd’hui capable de procurer au striatum presque tout ce qu’il désire, parfois sans effort. »[6] Or, notre cerveau a un gros défaut de fabrication : le striatum prend tout ce qu’il peut avoir… 

Bohler n’est pas un fataliste. Il croit que l’on peut reprogrammer notre cerveau pour s’affranchir de ce déterminisme qui nous fait surconsommer. Certains y sont parvenus. C’est le cas de Claudia Lavallée, une adepte de la simplicité volontaire et du véganisme, qui habite un appartement avec sa petite famille dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal. Elle a réussi l’exploit de n’utiliser des ressources que pour… 0,6 planète![7] Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mme Lavallée nous assure que ses proches et elle ont atteint un équilibre et jouissent d’une qualité de vie extraordinaire.[8]

Parvenir à consommer moins que notre pouvoir d’achat le permet – bref à ne pas être emporté par le courant dominant – nécessite une volonté de fer. C’est pourquoi la transition écologique ne se fera pas uniquement en attendant des initiatives individuelles. Les gouvernements doivent résolument s’engager en ce sens. Ici, je ne parle pas de simplement calquer le modèle des pays scandinaves, souvent cités en exemple. Même s’il a la réputation d’être un paradis du vélo, le Danemark a atteint son Jour du dépassement le 28 mars dernier; la Suède, le 3 avril.[9]

Aucun gouvernement n’en fait assez présentement. Les pays qui performent bien dans le classement de Global Footprint Network ne se démarquent guère par les sages décisions de leurs dirigeants. Prenons l’Équateur, dont le Jour du dépassement arrive le 7 décembre. Un récent rapport d’Amnistie Internationale était très critique à son endroit : « Les autorités et les entreprises équatoriennes menacent l’Amazonie par des lois, des politiques et des projets d’extraction (essentiellement pétroliers et miniers) qui n’ont pas obtenu le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones ou qui affectent leurs territoires, leur environnement, leur santé, leur eau ou leur alimentation. »[10] Voilà qui ressemble drôlement aux politiques anti-environnementales d’un Jair Bolsonaro au Brésil…[11]

L’Équateur se distingue plutôt par le mode de vie de ses habitants. Ceux-ci ont en général une alimentation peu carnée, ce qui diminue leur empreinte écologique.[12] Pour sa part, l’auteur Carl Honoré mentionne le cas de Vilcabamba, un village situé dans le sud de l’Équateur, où les déplacements se font pratiquement tous à pied. Résultat : moins de gaz à effet de serre et beaucoup de personnes âgées en bonne santé.[13]

Je crois que les nations dites « développées » gagneraient à s’inspirer davantage de celles qui ont un PIB moins élevé. Yves Cochet souligne que les pays en développement sont dans une meilleure posture que les pays riches pour s’adapter à un éventuel effondrement. Plus habituées à une certaine rusticité dans leur vie courante, leurs populations dépendent moins, pour leur survie, « de la mondialisation contemporaine et de toute sa quincaillerie technologique ».[14] Avant que l’on m’accuse de souhaiter que notre nation bascule dans la pauvreté, une nuance s’impose. Il serait aussi idiot de prôner une décroissance infinie qu’une croissance infinie. J’en appelle plutôt à ce que Pierre Rabhi nomme la « sobriété heureuse » : faire décroître notre boulimie matérialiste pour mieux faire croître nos qualités humaines.[15]

En 1970, le Jour du dépassement est survenu le 29 décembre.[16] Même si la population mondiale était environ deux fois moins élevée à l’époque, j’y vois un espoir. Après tout, l’humanité a vécu la majeure partie de son histoire en respectant les limites de la planète.

Dany Lavigne, le 12 juillet 2022


[1] Coralie Laplante, « Le « Jour du dépassement de la Terre » est arrivé », La Presse, 29 juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2021-07-29/le-jour-du-depassement-de-la-terre-est-arrive.php

[2] https://www.overshootday.org/newsroom/dates-jour-depassement-mondial/

[3] https://www.overshootday.org/newsroom/country-overshoot-days/ (page consultée le 23 juin 2022)

[4] Alexandre Shields et Boris Proulx, « Ottawa approuve le projet pétrolier Bay du Nord », Le Devoir, 7 avril 2022,

https://www.ledevoir.com/environnement/696429/ottawa-approuve-le-projet-petrolier-bay-du-nord

[5] https://www.footprintcalculator.org/home/fr

[6] Sébastien Bohler, Le bug humain, Paris, Robert Laffont, 2019, p.38.

[7] https://www.youtube.com/watch?v=xXTPPrtpj4s (page consultée le 13 juin 2022).

[8] Marie-Ève Campbell, « Claudia Lavallée. Montréal », Atelier camion, http://ateliercamion.com/claudia-lavallee/ (page consultée le 16 juin 2022).

[9] https://www.overshootday.org/newsroom/country-overshoot-days/ (page consultée le 23 juin 2022)

[10] Amnistie Internationale, « Équateur. Les autorités et les entreprises menacent l’Amazonie et ses peuples autochtones », 10 mai 2022, https://www.amnistie.ca/sinformer/2022/equateur/equateur-les-autorites-et-les-entreprises-menacent-lamazonie-et-ses-peuples

[11] Agence France-Presse, « La déforestation en Amazonie brésilienne au plus haut depuis 12 ans », Radio-Canada, 1er décembre 2020, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1753643/climat-bresil-foret-amazonienne-jair-bolsonaro

[12] https://www.youtube.com/watch?v=KJevgTrBimE&ab_channel=Brut (page consultée le 5 juillet 2022)

[13] Voir Carl Honoré, La révolution de la longévité, Trad. M. .Farcot, Paris, Marabout, 2019, p.65.

[14] Yves Cochet, Devant l’effondrement, Paris, Les liens qui libèrent, 2020, p.17.

[15] Voir Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, Arles, Actes Sud, 2018, p.90.

[16] Coralie Laplante, op. cit.

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L’éducation au temps de la crise écologique

Quel est le but de l’éducation? Question fondamentale s’il en est une. Par-delà les divergences idéologiques, tous s’entendent pour dire que l’école doit préparer les élèves à l’avenir qui les attend. Or, les jeunes qui marchent pour le climat le savent pertinemment : cet avenir ne sera pas qu’un prolongement tranquille du passé.

J’aime enseigner la philosophie au collégial. Dans mes évaluations de cours, à la question « Qu’avez-vous retenu de ce cours? », plusieurs étudiants parlent de l’importance d’analyser les deux côtés de la médaille avant de prendre position. Cela me réjouit! Si les gens réfléchissaient de façon plus rationnelle, le monde se porterait mieux.

Malgré tout, je me sens parfois en état de dissonance cognitive. Certains aspects de mon métier vont à l’encontre de mes valeurs écologiques. Et je ne parle pas seulement de mes déplacements en auto solo ou de la pollution numérique que je génère. Quand j’ai vu le superbe film Don’t Look Up, je n’ai pu m’empêcher de songer au système d’éducation dont je suis l’un des rouages. C’est comme si une comète fonçait sur la Terre, menaçant l’ensemble de l’humanité, et qu’on ne trouvait rien de mieux à dire aux jeunes que : « Ne vous en faites pas, votre diplôme vous permettra de faire une belle et longue carrière dans votre domaine. » 

À mon avis, le système d’éducation est mûr pour une réforme importante. Cyril Dion souligne que l’école aujourd’hui s’ingénie « à préparer les élèves à s’insérer dans une société de consommation, libérale, mondialisée, compétitive, obnubilée par la croissance, le profit, l’argent ».[1] Elle devrait plutôt les préparer à évoluer dans un monde où il ne suffira plus de payer pour obtenir certains biens et services. Je ne prétends pas qu’il faille jeter à la poubelle tout ce qu’on enseigne présentement. Une bonne culture générale s’avérera toujours un atout précieux pour bien conduire sa vie. Par contre, j’estime qu’une révision en profondeur des programmes est essentielle, de manière à pouvoir ajouter certains savoirs, savoir-faire et savoir-être. Quelques modestes pistes de réflexion seront mentionnées dans les lignes qui suivent.

Premièrement, il faut intégrer l’éducation relative à l’environnement (ERE) dans la majeure partie du cheminement scolaire. Pour agir, on doit d’abord comprendre. Prenons l’affirmation suivante, tirée du plus récent rapport du GIEC : « [À] moins de réductions immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre, la limitation du réchauffement aux alentours de 1,5 °C, ou même à 2 °C, sera hors de portée ».[2] Si quelqu’un n’a qu’une vague idée de ce que sont les GES ou les conséquences des changements climatiques, il ne se sentira pas interpellé par un tel avertissement. De même, si on ne sait pas identifier une source crédible, on prendra la première information fausse trouvée sur Internet pour de l’argent comptant. Il n’est pas normal que l’ERE relève uniquement d’initiatives individuelles d’enseignants, comme c’est le cas présentement.

Ensuite, les jeunes gagneraient à développer leurs habiletés manuelles, à apprendre comment fabriquer ou réparer des objets. Dans l’essai Résilience locale, Agnès Sinaï et ses collaborateurs mentionnent que les citoyens de demain seront appelés à participer à la construction de leur habitat (en collaboration avec des « artisans écoconstructeurs professionnels »).[3]  Avec la fin du pétrole bon marché, il est à prévoir que les low tech – les technologies simples d’usage et à faible impact environnemental – feront un retour en force dans les prochaines années. Encore faut-il être capable de se servir d’un marteau… Personnellement, j’aurais grandement besoin d’un cours « Travail manuel 101 »!

Enfin, la résilience ne se situe pas qu’à la base de la pyramide de Maslow. Je pense que l’école doit aussi amener les élèves à être prêts psychologiquement à l’effondrement probable de la société de consommation. Comment y parvient-on? Je n’ai pas de recette miracle. On me soulignait, cet automne, que les étudiants membres de mon comité écolo apprécient le fait de pouvoir dialoguer et exprimer leurs émotions lors de nos rencontres. Cela aide sûrement à lutter contre l’écoanxiété autant que nos actions visant à rendre le Cégep plus vert. Il faudrait que nos établissements d’enseignement prévoient des périodes régulières lors desquelles, sans tomber dans la thérapie de groupe, les participants ont l’opportunité d’échanger sur leurs craintes et leurs espoirs par rapport à l’avenir.

Au début de son dernier ouvrage, Rob Hopkins effectue un exercice qui est plutôt rare aujourd’hui : imaginer une société du futur qui serait meilleure que celle dans laquelle nous vivons! Un détail dans cette utopie m’a particulièrement frappé : « Le ministère de l’Éducation a éliminé toute forme d’examen afin de donner aux élèves davantage de temps libre, qu’ils peuvent consacrer à des jeux non structurés ou à l’acquisition, auprès d’autres membres de la communauté, de compétences utiles qui leur permettront de vivre leur vie comme ils l’entendent. »[4] Je rêve d’une telle école.

Dany Lavigne, le 6 février 2022


[1] Cyril Dion, Petit manifeste de résistance contemporaine, Arles, Actes Sud, 2018, p.59.

[2] GIEC, « Communiqué de presse », 9 août 2021, p.1, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf

[3] Voir Agnès Sinaï et al., Petit traité de résilience locale, Montréal, Écosociété, 2017, p.70-72.

[4] Rob Hopkins, Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons?, Trad. A. Prat-Giral, Arles, Actes Sud, 2020, p.18.

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Faire des enfants

Certains jeunes adultes choisissent de ne pas avoir d’enfants pour des raisons liées à l’environnement. Soit parce qu’ils veulent réduire leur empreinte écologique, soit parce qu’ils entrevoient un futur pénible. 

Commençons par le premier cas. On ne peut nier que chaque nouvel individu a une importante empreinte écologique, en particulier dans les pays riches. Selon une étude de l’Université de Lund en Suède, avoir un enfant de moins est le meilleur geste que l’on puisse faire pour réduire son impact! Cela revient, pour une famille états-unienne moyenne, à diminuer ses émissions de CO2 de 58,6 tonnes par an.[1]   

Force est de constater qu’il est plus difficile d’être écolo lorsqu’on est parent. Pour donner un exemple personnel, j’aimerais bien devenir végétarien. Or, mon fils refuse de me suivre dans ce projet! S’il peut accepter un tofu Général Tao à l’occasion, il ne veut rien savoir de renoncer à la viande. Certes, sa mère et moi pourrions préparer deux menus différents à chaque repas, mais le temps et la volonté nous manquent.

Pour sa part, la reine québécoise du zéro déchet, Mélissa de La Fontaine, se fait dire souvent qu’il est plus facile d’adhérer à ce mode de vie lorsqu’on n’a pas d’enfant. Ce à quoi elle répond qu’il n’y a pas une compétition pour savoir qui produira le moins de déchets![2] De mon côté, j’ajouterais que l’être humain n’est pas qu’une empreinte écologique. Chaque individu est infiniment plus que ses émissions de GES.

Dans son livre L’altruisme efficace, Peter Singer parle d’une jeune femme, Julia, qui avait choisi de ne pas avoir de progéniture afin de pouvoir donner le maximum d’argent possible à des associations caritatives. Cependant, comme elle voulait un bébé, cela la rendait malheureuse. Après réflexion, son conjoint et elle ont conclu qu’ils pourraient se permettre d’élever un enfant et de continuer à se montrer généreux. Une décision approuvée par Singer qui souligne : « Les facultés cognitives et des qualités comme l’empathie ont une forte composante héréditaire, et l’on peut penser que les enfants seront influencés par les valeurs que leurs parents prônent et pratiquent au quotidien. »[3]   

Je crois que l’on peut transposer ce raisonnement à la question qui nous intéresse. Des parents conscientisés risquent fort de conscientiser leur progéniture. Mon fils est peut-être un omnivore, mais il est préoccupé par le fait qu’on coupe des arbres dans sa ville pour construire un tas de gros immeubles. Et quand sa professeure cherchait le nom de la jeune Suédoise qui faisait la grève de l’école pour le climat, devinez qui lui a rafraîchi la mémoire? Si seulement les non-écolos se reproduisent – et ils n’arrêteront pas de se reproduire – je doute que le monde s’en portera mieux…

J’ai entendu certains dire que, comme la Terre est trop peuplée, ils comptaient adopter un enfant plutôt que d’en concevoir un. L’adoption est une chose très noble. Toutefois, comme le précise le site d’Éducaloi, cela représente une démarche complexe au Québec. La façon la plus rapide d’adopter est d’avoir recours à la banque mixte, qui comprend « les enfants retirés à leurs parents par le Directeur de la protection de la jeunesse pour mauvais traitements, abandon, incapacité des parents à en prendre soin, etc. »[4] Ce n’est pas tout le monde qui a l’amour et la patience nécessaires pour s’occuper d’un jeune qui a connu un départ difficile dans la vie. En outre, il y a toujours la possibilité qu’une candidature soit rejetée, comme ce fut le cas pour un couple d’amis à moi qui auraient pourtant faits de merveilleux parents. 

Il est vrai que le nombre d’êtres humains a augmenté de façon exponentielle depuis le vingtième siècle, ce qui n’a pas aidé la planète. Or, même si j’accorde une grande crédibilité à l’ONU, j’ai du mal à croire que nous serons 9,7 milliards en 2050 comme elle le prédit. Tel que le souligne Yves Cochet, différents paramètres (par exemple, les émissions de méthane dues à la fonte du pergélisol) laissent plutôt entrevoir que nous connaîtrons une décroissance de la population dans les prochaines décennies.[5] Bien que je ne sois pas très fort en maths, je sais qu’une courbe de population exponentielle finira par redescendre (du moins dans le système-Terre).    

Ce qui m’amène à l’autre grande raison de ne pas faire d’enfants : le monde de demain. En tant que collapsologue, j’avoue être moi-même assez pessimiste à ce sujet. Et la COP26, qui s’est tenue en novembre dernier n’a rien fait pour apaiser mes craintes d’un effondrement de la civilisation. On a encore eu droit à un pathétique manque d’ambition de la part des décideurs.[6] Que des pays comme la Chine et l’Inde continuent à miser sur le charbon est à l’opposé de ce que prescrit la science. Bref, un autre accord insuffisant et dont les cibles ne seront probablement même pas atteintes…

L’une des choses que j’appréhende, ce sont les guerres déclenchées pour l’appropriation des ressources en déclin. Déjà en 2009, le spécialiste des questions militaires Gwynne Dyer évoquait les conséquences géopolitiques du réchauffement climatique. Une augmentation des températures moyennes de 2 oC ferait en sorte que les risque de conflits dans le monde seraient considérables. Dyer explique que les sécheresses massives, ouragans à répétition et déplacements de populations créeraient des tensions aux frontières. Ça, c’est le scénario le plus optimiste…[7] D’ailleurs, un territoire comme le Québec, avec ses importantes ressources en eau douce, risque fort d’être convoité. De penser que nos enfants puissent se retrouver en zone de guerre ou devenir des réfugiés climatiques n’est pas une perspective réjouissante, j’en conviens.

Ceci dit, nos ancêtres nous ont montré que, même lors des périodes les plus sombres, l’être humain est capable d’une grande résilience. Pablo Servigne et Raphaël Stevens écrivent avec justesse : « Certes, la possibilité d’un effondrement ferme des avenirs qui nous sont chers, et c’est violent, mais il en ouvre une infinité d’autres, dont certains étonnamment rieurs. Tout l’enjeu est d’apprivoiser ces nouveaux avenirs, et de les rendre vivables. »[8] Qui sait, peut-être que demain sera constitué de communautés autosuffisantes où il fait bon vivre?

Pour revenir à la question de départ, à mon avis le choix d’avoir ou non des enfants ne regarde que les principaux intéressés. Mais une chose est claire : faire des bébés n’est pas un geste anti-écologique. Après tout, si on milite pour la cause environnementale, c’est aussi pour les générations futures.  

Dany Lavigne, le 2 janvier 2022


[1] Céline Deluzarche, « Réduire son empreinte carbone : 6 moyens (vraiment) efficaces », Futura-Science, 24 février 2020,

https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/eco-consommation-reduire-son-empreinte-carbone-6-moyens-vraiment-efficaces-11234/

[2] Voir Mélissa de La Fontaine, Tendre vers le zéro déchet, Montréal, Les éditions de La Presse, 2019, p.24.

[3] Peter Singer, L’altruisme efficace, Trad. L. Bury, Paris, Les arènes, 2018, p.55.

[4] https://educaloi.qc.ca/capsules/ladoption-dun-enfant-au-quebec/ (page consultée le 26 décembre 2021)

[5] Yves Cochet : « L’humanité pourrait avoir disparu en 2050 », Le Parisien, 7 juin 2019, https://www.leparisien.fr/environnement/yves-cochet-l-humanite-pourrait-avoir-disparu-en-2050-07-06-2019-8088261.php

[6] Éric-Pierre Champagne, « « Un déficit d’ambition » », La Presse, Le 13 novembre 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2021-11-13/cop26/un-deficit-d-ambition.php

[7] Voir Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Paris, Éditions du Seuil, 2021, p.63-64.

[8] Ibid., p.27.

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Je suis collapsologue

Un terrible cyclone a ravagé la côte ouest des États-Unis, entraînant la faillite des compagnies d’assurance et, en bout de ligne, la chute du système financier mondial. Les êtres humains doivent tenter de se débrouiller par eux-mêmes pour combler leurs besoins de base. Nous sommes en 2022.  

Même s’il relève de la fiction, ce scénario issu de l’excellent roman Après le monde d’Antoinette Rychner m’apparaît plausible. Je suis collapsologue. Je crois à l’effondrement prochain de la civilisation industrielle. Est-ce que ce sera dès l’an prochain? Je ne sais pas. Au rythme où la nature se dégrade, j’ai le sentiment que c’est une réalité que les gens de ma génération connaîtront de leur vivant.

L’effondrement peut prendre différentes formes; il peut être assez soudain ou plus graduel.  Bien sûr, toutes les régions de la planète ne vivent pas des réalités identiques. Or, en bout de ligne, personne ne sera épargné, même les plus riches des pays riches. Il faudra composer notamment avec une diminution des ressources, voire des pénuries, un climat hostile et avec toute l’instabilité que ça engendre.

Certains s’empresseront de faire un parallèle entre la collapsologie et les discours religieux à saveur apocalyptique. Pourtant, les deux ont peu en commun. Si je suis collapsologue, c’est parce que je prends la science au sérieux, point.

Les premiers à avoir utilisé le terme « collapsologie » (avec un peu d’autodérision) sont l’ingénieur Pablo Servigne et l’éco-conseiller Raphaël Stevens, dans leur essai Comment tout peut s’effondrer (2015). Sans être une science en soi, la collapsologie cherche à faire la synthèse la plus scientifique possible des risques d’effondrement. Les auteurs précisent que le but est « de nous éclairer sur ce qui nous arrive et qui pourrait nous arriver, c’est-à-dire de donner un sens aux événements ».[1]

L’un des collapsologues les plus connus est Yves Cochet. Cet ancien ministre de l’Environnement en France présidait jusqu’à tout récemment l’Institut Momentum, un groupe de réflexion sur l’imminence de l’effondrement. Il a esquissé un calendrier approximatif des bouleversements que nous connaîtrons dans les trois prochaines décennies : « À quelques années près, [la période 2020-2050] se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début d’une renaissance (2040-2050). »[2]

N’est-il pas catastrophiste de parler de « fin du monde »? J’admets que tout cela est difficile à croire de notre point de vue, au Québec, alors que le présent est encore relativement confortable pour le plus grand nombre. L’avenir nous dira si Cochet avait raison. En tout cas, l’homme a le mérite de s’être inquiété, avant que la COVID-19 ne fasse partie de notre vocabulaire, du risque qu’apparaisse une « souche virulente aussi mortelle qu’Ebola et aussi contagieuse que la grippe ».[3]

En 1988, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). [4]  Cet organisme, qui compte sur la collaboration de milliers de scientifiques du monde entier, est certainement le plus crédible en matière de changements climatiques. Il produit de volumineux rapports pour éclairer les décideurs politiques. Encore dernièrement, ses experts nous prévenaient que, quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les impacts dévastateurs du réchauffement sur la nature et l’humanité qui en dépend vont s’accélérer. Déjà, l’actuelle hausse moyenne des températures de 1,1 ˚C a des conséquences graves aux quatre coins du globe. Imaginez quand le mercure aura grimpé de 1,5 °C, ce qui pourrait survenir dès 2025 selon l’Organisation météorologique mondiale…[5]

Pour sa part, le journaliste David Wallace-Wells a fait un travail colossal de recension d’informations scientifiques sur les changements climatiques. Dans son livre, La Terre inhabitable, il mentionne certaines études selon lesquelles la température pourrait augmenter de 6 ou de 8 ˚C d’ici 2100! D’après lui, le scénario le plus probable serait toutefois une augmentation de plus de 4 ˚C : « Selon certaines estimations, des zones entières d’Afrique, d’Australie et des États-Unis, ainsi qu’une partie de l’Amérique du Sud, au nord de la Patagonie et de l’Asie, au sud de la Sibérie, deviendraient inhabitables à cause de la chaleur directe, de la désertification et des inondations. Des conditions pour le moins inhospitalières, qui ne se limiteraient pas à ces régions. »[6]

Je pourrais facilement en rajouter. Tellement d’essais et de documentaires sérieux sur l’environnement dressent un état de la situation peu encourageant et nous avertissent des conséquences qui nous attendent si rien n’est fait rapidement. Jour après jour, les bulletins de nouvelles nous révèlent que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient à un rythme inquiétant. Dernièrement, c’est un dôme de chaleur qui frappait l’Ouest canadien, faisant plus d’une centaine de morts.[7] La municipalité de Lytton en Colombie-Britannique a battu le record absolu de chaleur au Canada, avec une température de 49,6 °C! Quelques jours plus tard, le village était détruit à 90% par un incendie de forêt.[8]

Après cinquante ans de tiédeur et de compromissions – quand ce n’est pas carrément du climatoscepticisme – quelqu’un croit-il encore vraiment que les gouvernements du monde entier répondront à l’appel du GIEC pour « une action hâtive et efficace »?[9] Moi, non. Je ne suis pas non plus de ceux qui ont foi au progrès technologique afin de nous sortir du pétrin. Même les technologies les plus vertes sur le marché participent d’un procédé de fabrication industrielle qui, de l’extraction à l’élimination, accentue la crise écologique…   

Malheureusement ou heureusement, je n’ai pas de boule de cristal qui me permettrait de connaître avec certitude notre avenir! Le doute reste toujours présent à mon esprit. Mais devant autant de signaux d’alarme, le principe de précaution me semble de mise. Surtout en sachant que les scientifiques sont très prudents lorsqu’ils émettent des prédictions. Comme le disait déjà Hubert Reeves avant Greta : « Doit-on, en effet, attendre d’avoir la preuve complète et irréfutable de l’existence d’un danger pour le prendre au sérieux? Si vous voyez de la fumée dans votre cuisine, vous vous alarmerez avant d’avoir la certitude absolue qu’il y a le feu… »[10] 

Je sais que mon propos est de nature anxiogène. Toutefois, l’attitude de déni ne contribue qu’à empirer les choses. Attendrons-nous qu’il n’existe plus d’autres options avant de changer radicalement notre mode de vie? À mon avis, ce n’est guère une fatalité. Nous pouvons encore, collectivement, faire le choix de la résilience.

Dany Lavigne, le 14 juillet 2021


[1] Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Paris, Seuil, 2015, p.20.

[2] Cf. Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, Paris, Actes Sud, 2018, p.29.

[3] Yves Cochet, Devant l’effondrement, Paris, Les liens qui libèrent, 2019, p.123.

[4] https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/ (page consultée le 15 juin 2021)

[5] Alexandre Shields, « L’humanité est à l’aube de retombées climatiques dévastatrices, prévient le GIEC », Le Devoir, le 23 juin 2021, https://www.ledevoir.com/societe/environnement/613245/l-humanite-est-a-l-aube-de-retombees-climatiques-devastatrices-previent-le-giec

[6] David Wallace-Wells, La Terre inhabitable, Trad. C. Leclère, Paris, Robert Laffont, 2019, p.15.

[7] Sarah Xenos, « Canicule en C.-B. : la coroner en chef enquête après 233 morts subites en 4 jours », Radio-Canada, 29 juin 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1805398/deces-chaleur-canicule-grc-cb-burnaby

[8] Coralie Laplante, « Deux morts dans l’incendie à Lytton », La Presse, 2 juillet 2021,

https://www.lapresse.ca/actualites/2021-07-02/incendie-de-foret/deux-morts-dans-l-incendie-a-lytton.php

[9] Alexandre Shields, « Les bouleversements climatiques menacent de rendre le monde « méconnaissable »», Le Devoir, 9 octobre 2020, https://www.ledevoir.com/societe/environnement/587527/les-bouleversements-climatiques-menacent-de-rendre-le-monde-meconnaissable

[10] Hubert Reeves, Mal de Terre, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p.10.

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Désobéissance civile

Le 21 décembre dernier, le Vancouvérois Timothé Govare s’est installé dans un campement de fortune dans les arbres. C’est le moyen audacieux qu’il a trouvé pour empêcher les travaux d’expansion du pipeline Trans Mountain, acheté par le gouvernement fédéral. Pendant des semaines, il a tenu tête aux policiers et aux agents de sécurité de la multinationale qui ont tenté de l’intimider.[1]

La désobéissance civile semble avoir de plus en plus la cote auprès des écologistes. Le mouvement international Extinction Rebellion s’en est fait une spécialité. Afin que les gouvernements reconnaissent l’urgence climatique – et qu’ils agissent en conséquence – ses membres ne craignent pas de se faire arrêter. On l’a vu au Québec lorsque trois d’entre eux ont escaladé le pont Jacques Cartier, causant un immense embouteillage.[2] 

Ces actions posent une question éthique fort intéressante : faut-il toujours obéir à la loi en démocratie? Personnellement, je me range du côté du philosophe Henry David Thoreau (1817-1862), selon lequel il serait irresponsable d’obéir à une loi injuste. Il écrit de belle façon : « Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. »[3] Lui-même a mis ce principe en pratique, refusant de payer ses impôts afin de ne pas se rendre complice de l’esclavage et de la guerre. Cela lui a valu une nuit derrière les barreaux.

Bien entendu, les actions de désobéissance civile dérangent. Les patrons, les actionnaires et les travailleurs de TC Energy n’ont pas apprécié le geste de Timothé Govare. Les automobilistes qui sont arrivés en retard au travail en raison des activistes d’Extinction Rebellion ne devaient pas être de bonne humeur non plus. En revanche, ces braves gens n’ont guère été victimes de préjudices physiques ou psychologiques : on ne les a pas tabassés ou harcelés. Tant qu’elle reste dans les limites de la non-violence, la désobéissance civile m’apparaît acceptable.

Il faut également remettre les choses dans leur contexte. Si des militants en viennent à désobéir à la loi, ce n’est pas pour emmerder leur prochain gratuitement! C’est parce qu’ils ont compris l’urgence de la situation. C’est parce qu’ils veulent que nos gouvernements suivent les recommandations du GIEC et qu’ils ne sont pas parvenus à attirer leur attention par des moyens plus modérés.

La désobéissance civile a connu plusieurs succès dans l’histoire. Certains sont moins connus que les victoires de Gandhi et de Luther King. Par exemple, en 1943, plusieurs citoyens danois ont refusé de collaborer avec l’occupation allemande. Une vaste opération a permis de cacher ou de mettre à l’abri en Suède plus de 7000 Juifs, leur évitant ainsi la déportation vers le ghetto de Theresienstadt.[4] Dans un registre moins dramatique, lors de la grève étudiante du printemps 2012, pas moins de 250 000 personnes ont bravé la loi 78 du gouvernement Charest qui restreignait le droit de manifester.[5] Quelques mois plus tard, le règne du Parti libéral du Québec prenait fin et les substantielles hausses de droits de scolarité étaient annulées.

Force est de constater que l’utilisation de la désobéissance civile n’a pas encore contribué à de tels résultats sur le plan environnemental. En 2001, deux militants de Greenpeace ont escaladé la Tour CN afin d’y dérouler une banderole accusant le Canada et les États-Unis d’être des « climate killers ». L’un d’eux était nul autre que l’honorable Steven Guilbeault, actuel ministre du Patrimoine canadien.[6] Il fait maintenant partie d’un gouvernement qui est poursuivi par des jeunes pour son inaction climatique…[7] 

Selon une célèbre étude citée par Laure Waridel, « toutes les campagnes [non violentes] ayant obtenu la participation active et soutenue de 3,5% de la population ont réussi à provoquer des changements, souvent systémiques ».[8] Qui sait ce qui pourrait se produire si un nombre croissant de citoyens osaient la désobéissance civile?

Dany Lavigne, le 7 mai 2021


[1] Anaïs Elboujdaïni, « Un Vancouvérois prêt à passer des mois dans un arbre pour s’opposer à Trans Mountain », Radio-Canada, le 23 janvier 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765329/tmx-burnaby-pipeline-arbre-environnement.

[2] La Presse canadienne, « Urgence climatique : Extinction Rebellion a perturbé deux fois la circulation mardi », Radio-Canada, le 9 octobre 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1336165/extinction-rebellion-manifestation-climat-montreal-pont-jacques-cartier.

[3] Henry David Thoreau, La désobéissance civile, Trad. M. Flak, Anjou, CEC, 2013, p.62.

[4] L’encyclopédie multimédia de la Shoah, « Danemark », https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/denmark (page consultée le 5 mai 2021).

[5] Guillaume Bourgault-Côté, « Loi 78 : la rue choisit la désobéissance pacifique », Le Devoir, le 23 mai 2012, https://www.ledevoir.com/societe/education/350682/loi-78-la-rue-choisit-la-desobeissance-pacifique

[6] L’encyclopédie canadienne, « Steven Guilbeault », https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/steven-guilbeault (page consultée le 6 mai 2021)

[7] https://enjeu.qc.ca/justice/ (page consultée le 7 mai 2021).

[8] Laure Waridel, La transition, c’est maintenant, Montréal, Écosociété, 2019, p.267.

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Écosabotage

Dans le livre Comment saboter un pipeline, le Suédois Andreas Malm fait remarquer que, depuis le premier sommet sur le climat en 1995, les émissions annuelles de CO2 ont augmenté de 60%. Ce maître de conférences en géographie estime que le pacifisme du mouvement environnemental a montré ses limites. Il est temps de passer « au stade supérieur » : « Quand commencerons-nous à nous en prendre physiquement aux choses qui consument cette planète – la seule sur laquelle les humains et des millions d’autres espèces peuvent vivre – et à les détruire de nos propres mains? » [1]

Est-ce que l’écosabotage – c’est-à-dire la destruction ou les dommages causés à des infrastructures polluantes dans le but de les rendre non opérationnelles – doit faire partie du cocktail d’actions du mouvement écologiste? Même s’il est vrai que celui-ci a connu des succès mitigés, j’avoue avoir du mal à trancher cette question. L’écosabotage implique une certaine forme de violence, même si elle est tournée vers des biens matériels. Il ne s’agit pas simplement de bloquer des accès ou de pénétrer dans un lieu sans autorisation, comme dans le cas de la désobéissance civile…

Il n’y aurait eu qu’une dizaine de poursuites pour des actes s’apparentant à de l’écosabotage au Canada.[2] Cependant, le nombre réel est probablement plus élevé dans les faits. Contrairement aux disciples de Trump qui se sont filmés en train de faire leur insurrection ratée, le but des écosaboteurs n’est pas d’acquérir la gloire sur les réseaux sociaux. Ils veulent empêcher les pollueurs de nuire, point.

Un superbe film qui traite de l’écosabotage est Woman at War de Benedikt Erlingsson. L’action se déroule dans les magnifiques Hautes Terres d’Islande. Halla, le personnage principal, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium. Par différents stratagèmes, cette professeure de chant parvient à faire arrêter la production de l’usine énergivore temporairement, voire à nuire aux négociations entre le gouvernement et une multinationale pour la construction d’une nouvelle fonderie.[3]

Halla est en quelque sorte un modèle à suivre en matière d’écosabotage! Celle qui a pour pseudonyme la Femme de la montagne respecte certains critères faisant en sorte que son action demeure dans les limites de l’éthique. Tout d’abord, elle s’assure de ne pas causer de morts ou de blessés. Les infrastructures qu’elle endommage sont situées dans des contrées inhabitées. Ainsi, même lorsqu’elle a recours à des explosifs pour faire tomber un pylône, elle ne porte pas atteinte à l’intégrité physique d’autrui. C’est la différence entre l’écosabotage et l’écoterrorisme.[4]  

Deuxièmement, la cible d’Halla était bien choisie. Il serait aussi maladroit pour un écosaboteur de s’attaquer à une petite entreprise que, pour un défenseur du droit des animaux, de s’attaquer à un élevage à échelle humaine. Bien que l’aluminium soit un métal durable et recyclable à l’infini, sa production a une lourde empreinte écologique. Sur les 10 entreprises les plus polluantes au Québec en 2017, quatre étaient des alumineries.[5]

Enfin, ne s’improvise pas écosaboteur qui veut. Même si je voulais faire cesser la production d’une aluminerie demain matin, je ne saurais pas comment faire! Halla, elle, le savait. Elle était au courant de quelle ligne alimentait l’usine. Et elle maîtrisait assez bien le tir à l’arc pour envoyer un câble sur les fils et causer une panne d’électricité. Quelqu’un de plus impulsif aurait pu choisir de mettre le feu au bâtiment, mais il aurait alors risqué de faire des victimes et de causer un désastre environnemental pire que celui qu’il voulait stopper…

Peut-être qu’il est moins compliqué d’aller saboter un pipeline qu’une aluminerie? Peu importe, l’exemple d’Halla montre que l’écosabotage éthique est exigeant. Ces opérations requièrent d’avoir les connaissances, le temps et le courage nécessaires.  

Malgré ses nombreuses ruses, celle qui fait désormais partie de mes héroïnes préférées du cinéma finit par se retrouver en prison (voyant son projet d’adopter une petite orpheline compromis). Voilà un risque auquel tout militant qui souhaite emprunter la voie de l’écosabotage doit réfléchir sérieusement.

Dany Lavigne, le 6 février 2021


[1] Andreas Malm, Comment détruire un pipeline, Trad. É. Dobenesque, Montréal, Éditions de la rue Dorion, 2020, p.25.

[2] Alexandre Milette-Gagnon, « L’écoterrorisme est-il un réel danger au Canada? », Radio-Canada, Le 30 août 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1276862/ecoterrorisme-extremisme-environnement-place-medias.

[3] https://www.avoir-alire.com/woman-at-war-la-critique-du-film (page consultée le 28 janvier 2021).

[4] Voir mon précédent texte :  https://danylavigne.wordpress.com/2020/08/11/reflexion-sur-lecoterrorisme/

[5] Charles Lecavalier et Annabelle Blais, « Voici les 10 entreprises les plus polluantes au Québec », Le Journal de Québec, le 18 mai 2019, https://www.journaldequebec.com/2019/05/18/voici-les-10-entreprises-les-plus-polluantes-au-quebec

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Réflexion sur l’écoterrorisme

Je lis présentement Deux balles, un sourire de Jean-Jacques Pelletier. Il est rare qu’un roman policier se retrouve sur ma table de chevet, mais la prémisse de celui-ci m’a accroché : des meurtres de pollueurs sont revendiqués par un groupe d’écoterroristes nommé Vert Demain (aussi le nom d’une vraie entreprise d’aliments bio!).

Qu’est-ce que l’écoterrorisme? Wikipédia propose la définition suivante : « [M]enaces, intimidations ou actes de violence contre des biens ou des personnes physiques commis au nom de l’écologisme ».[1] Par contre, certains spécialistes, comme Johanna Massé de l’Université Laval, limitent l’écoterrorisme à la violence envers des êtres humains. Selon elle, les cas de destruction matérielle relèvent plutôt de l’« extrémisme écologique ».[2] Je ferai mienne cette nuance.

Pour l’instant, l’écoterrorisme nourrit davantage la fiction que la réalité. Ce qui ne m’étonne pas, étant donné que le mouvement écologiste est fondé sur la non-violence. Il est quand même intéressant de se pencher sur la mise en situation proposée par le bouquin de Pelletier. Après tout, il n’est pas exclu qu’un tel scénario se produise un jour. Devant l’inaction de nos dirigeants face à la crise écologique, quelques militants pourraient être tentés de se tourner vers des moyens plus radicaux.

Les membres de Vert Demain justifient leurs assassinats dans un manifeste débutant par ces mots : « Les pollueurs exploitent sans scrupule l’environnement, détruisent l’écosystème qui nous permet de vivre. C’est pourquoi ils seront détruits. Sans plaisir. Sans violence inutile. Mais impitoyablement. »[3] On ne peut nier que les gens qui « saccagent la terre », « empoisonnent l’eau » et « polluent l’air » nuisent à l’ensemble du genre humain. Un article de Québec Science révélait que 16% des décès dans le monde sont liés à la pollution…[4]

Force est de constater que le raisonnement du groupe écoterroriste se tient. Pour le dire crument : un individu mort cesse de polluer! Et toute pollution en moins est une bonne chose. Toutefois, le meurtre des gros pollueurs ne me semble pas justifiable d’un point de vue éthique. On tombe dans ce que Camus appelle le crime « logique » : « Dès l’instant où le crime se raisonne, il prolifère comme la raison elle-même, il prend toutes les figures du syllogisme. »[5]

En effet, on peut se demander où cette logique finirait. Imaginons qu’il existe un outil permettant de calculer l’empreinte écologique de chaque être humain. Grâce à ce calculateur – plus précis que ceux qui existent actuellement – on saurait enfin qui est le plus gros pollueur de la planète! Or, une fois ce dernier mis hors service par les écoterroristes, le deuxième plus grand pollueur devrait-il subir le même sort? puis le troisième?… Quelle serait l’empreinte écologique acceptable pour qu’un être humain soit digne de vivre?

La réponse à cette mise en situation peut sembler trop évidente. Nul besoin d’être kantien pour trouver qu’il est difficile d’approuver un meurtre ne relevant pas de la légitime défense. Complexifions les choses alors…

Et si, au lieu de tirer deux balles dans la tête des pollueurs, des écoterroristes optaient plutôt pour des enlèvements? Attention : je parle d’un groupe aussi sympathique que les cambrioleurs de l’excellente série La maison de papier! Disons qu’ils kidnapperaient un ministre ayant approuvé la construction d’un vaste pipeline et le relâcheraient à une condition : que le gouvernement s’engage formellement à annuler ledit projet. L’otage serait bien traité. Il aurait même droit à des repas bio et véganes trois fois par jour! Est-ce qu’un tel geste mériterait une manifestation d’appui à la place Émilie-Gamelin?

Encore une fois, je crois que la fin ne justifie pas les moyens. Même si les ravisseurs sont animés par de nobles intentions à la base, un tel geste causerait un préjudice trop important. On peut penser que le politicien – aussi critiquable soit-il – en garderait des séquelles pour le restant de ses jours, sans compter la détresse vécue par ses proches. D’ailleurs, on ne sait jamais quelle tournure une prise d’otage peut prendre. La mort du ministre du Travail, Pierre Laporte, en a été un tragique exemple lors de la Crise d’octobre en 1970.[6]

Même si on analyse la question en évacuant la dimension morale, le terrorisme n’est pas une façon efficace d’apporter les changements voulus à la société. Tout comme les multiples attentats commis par des islamistes radicaux n’ont pas fait avancer leur cause, je ne pense pas que l’écoterrorisme aboutirait à un virage vert. Il ne ferait qu’instaurer un climat de terreur contraire à la démocratie et nuire à l’image du mouvement écologiste.

Pour revenir au roman que je n’ai toujours pas terminé, au fil de son enquête l’inspecteur-chef Dufaux en vient à comprendre les motivations des écoterroristes. Sans bien sûr approuver leurs crimes. Ça résume assez bien ma position. J’ajouterais toutefois qu’on a besoin d’actions radicales si on veut éviter l’effondrement! La question est de savoir : jusqu’où peut-on aller? J’y reviendrai.

Dany Lavigne, le 11 août 2020

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89coterrorisme#cite_note-The_Threat_of_Eco-Terrorism-1 (page consultée le 5 août 2020)

[2] Alexandre Milette-Gagnon, « L’écoterrorisme est-il un réel danger au Canada? », Radio-Canada, Le 30 août 2019, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1276862/ecoterrorisme-extremisme-environnement-place-medias

[3] Jean-Jacques Pelletier, Deux balles, un sourire, Montréal, Hurtubise, 2017, p.13.

[4] Martine Letarte, « 16% des décès dans le monde sont liés à la pollution », Québec Science, le 24 octobre 2017, https://www.quebecscience.qc.ca/sante/16-des-deces-dans-le-monde-sont-lies-a-la-pollution/

[5] Cf. Thomas De Koninck, De la dignité humaine, Paris, PUF, 1998, p.2.

[6] Daniel Paquet, « 1970 – Le FLQ sème la terreur », Le Journal de Québec, le 11 mars 2017, https://www.journaldequebec.com/2017/03/11/1970—le-flq-seme-la-terreur

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Un plan de décroissance pour la LNH

J’aime le hockey. Comme tous les amateurs, j’ai hâte que les activités de la Ligue nationale de hockey reprennent. Or, à mon humble avis, celle-ci aurait davantage besoin d’un plan de décroissance que d’un plan de relance!

Plus on s’enlise dans la crise écologique et plus les activités de la LNH apparaissent comme un anachronisme. Peut-être pas autant que la Formule 1, mais quand même! Sauf en temps de pandémie, les 31 équipes disputent à chaque saison un total 1 271 parties (excluant les séries éliminatoires), ce qui a des impacts importants sur la planète.

Lorsque la LNH est née en 1917, la saison régulière ne comptait que 22 matchs.[1] Ce nombre a presque quadruplé depuis pour atteindre 82 matchs. Sans reculer un siècle en arrière, on pourrait s’inspirer de l’Europe. Pourquoi pas du pays de Greta, où les équipes de la Swedish Hockey League (SHL) disputent 52 parties par saison?[2] Un tel calendrier s’avérerait non seulement bénéfique pour l’environnement, mais aussi pour la qualité de vie des joueurs qui auraient plus de temps pour être avec leur famille et pour guérir de leurs petits et gros bobos. Parions que les performances sur la glace n’en seraient que meilleures!

Bien sûr, les séries devraient être proportionnelles à ce nouveau calendrier. Je suggère que l’on remplace les « quatre de sept » par des « trois de cinq ».  Cette formule était utilisée lors du premier tour des séries de 1980 à 1986. Histoire d’ajouter du piquant, on pourrait même s’inspirer de la Ligue nationale de football et transformer la finale de la Coupe Stanley en un match ultime!

Depuis son entrée en poste, le commissaire de la LNH, Gary Bettman, a toujours cherché à développer de nouveaux marchés. L’an prochain, la ville de Seattle devrait accueillir la 32concession de la LNH. Elle semble bien loin, l’époque des Original Six… Par-delà les considérations financières, a-t-on vraiment besoin qu’il y ait autant d’équipes éparpillées aux quatre coins de l’Amérique? Disons qu’il faudrait planter beaucoup d’arbres pour compenser les émissions de GES de leurs déplacements en avion…

Selon moi, il n’y a pas que le nombre de matchs qui devrait décroître, mais aussi le nombre de formations. Ce qui amène la délicate question des équipes à « éliminer »… Même si les récents amphithéâtres disposent de systèmes de réfrigération à la fine pointe, il reste que la dépense énergétique pour fabriquer une glace de qualité est plus importante lorsqu’il fait plus chaud.[3] Je dirais donc adieu aux équipes les plus au sud, là où il ne neige pas ou presque jamais : Anaheim, Dallas, Floride, Las Vegas, Los Angeles, Phoenix, San Jose et Tampa Bay. En déménageant l’une de ces concessions à Seattle, plus au nord, on reviendrait donc à 24 équipes (comme la dernière fois que les Canadiens ont gagné la Coupe Stanley).

Enfin, je terminerais mon plan de décroissance par un geste symbolique fort afin de marquer le virage vert de la LNH : déménager les Oilers d’Edmonton à Québec. Quelle honte pour la capitale albertaine d’avoir choisi un nom et un logo promouvant le pétrole le plus polluant au monde! En revanche, les Nordiques et leur bel igloo évoquent le « droit au froid », revendication des peuples inuits dans la lutte au réchauffement climatique.

Ma proposition qu’il y ait moins de hockey, j’en suis bien conscient, risque de trouver peu d’appuis en dehors des cercles écologistes. Mais il faut garder en tête que le hockey aussi est menacé par la crise environnementale.

Dany Lavigne, le 14 juin 2020

[1] https://www.nhl.com/fr/standings/1917/league (page consultée le 4 juin 2020)

[2] https://www.flashscore.com/hockey/sweden/shl-2019-2020/ (page consultée le 4 juin 2020)

[3] Guillaume Roy, « Le palais des glaces », L’actualité, [en ligne], le 23 novembre 2015, https://www.quebecscience.qc.ca/sciences/le-palais-des-glaces/

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