Le groupe écologiste Just Stop Oil aura beaucoup fait parler de lui en 2022, avec ses nombreux coups d’éclat dans les musées. Sa mission : faire pression sur le gouvernement britannique afin qu’il interdise l’exploration et la production pétrolière.[1]
Tout a commencé le 29 juin, alors que deux de ses membres, de jeunes adultes, sont entrés à la Kelvingrove Art Gallery de Glasgow. Ils ont fait un graffiti sur le mur, puis se sont collé une main au cadre d’une toile d’Horatio McCulloch. Le choix de la ville était symbolique : Glasgow avait été le théâtre, en 2021, d’un autre sommet sur le climat pour le moins décevant. En l’espace d’une semaine, des membres du collectif ont ciblé quatre autres œuvres dans différents musées britanniques, en suivant sensiblement le même procédé.[2]
Le 14 octobre, deux militants, toujours de Just Stop Oil, ont lancé de la soupe Campbell sur les Tournesols de Van Gogh.[3] Ils ont vite été imités par d’autres. En Allemagne, un Monet a eu droit à de la purée de pommes de terre, gracieuseté du groupe Last Generation.[4] Plus près de nous, à Vancouver, des membres de Stop Fracking Around ont plutôt opté pour le sirop d’érable.[5] À chaque fois, les militants ont profité de leur 15 minutes de gloire pour affirmer haut et fort leur opposition aux énergies fossiles.
Ma première réaction est d’avoir été un peu choqué. Surtout que les images que j’ai d’abord vues laissaient penser que les œuvres étaient des pertes totales. Heureusement, celles-ci n’ont pas été endommagées (à l’exception du cadre des Tournesols qui a subi des dégâts mineurs). Elles étaient protégées par une vitre et l’action militante avait été prévue en conséquence.[6]
La toujours pertinente chroniqueuse du Devoir, Aurélie Lanctôt, m’a amené à voir les choses de façon nuancée. Dans un texte, elle rapporte qu’une vingtaine de militants du collectif Antigone ont occupé le terminal pétrolier de la société Valero, à Montréal-Est. Pendant près de 24 heures, alors qu’il faisait un froid mordant, ils se sont enchaînés à un conteneur et ont bloqué l’accès au quai de chargement de la ligne 9B de l’oléoduc Enbridge. Cette action de désobéissance civile a reçu beaucoup moins d’attention médiatique que les tableaux éclaboussés. Lanctôt conclut sa chronique en faisant remarquer qu’on exige des militants pour le climat qu’ils s’en prennent aux vrais responsables sans déranger le brave monde : « Or, lorsqu’ils font exactement cela, on les ignore. Cette double contrainte nous donne l’exacte mesure du péril auquel nous faisons face. »[7]
Il semble aussi qu’on ait peu porté attention au propos des écologistes dans les musées, alors que leur message mérite réflexion. « Qu’est-ce qui a le plus de valeur? L’art ou la vie? », a demandé une militante.[8] Quelle belle question philosophique! J’estime, pour ma part, que la cause environnementale est au-dessus de toutes les autres. Il s’agit, après tout, de défendre les conditions qui permettent le maintien de la vie sur Terre. Si on échoue, il n’y aura plus d’art, ou en tout cas plus personne pour apprécier l’art…
Je comprends ce qui a pu pousser ces jeunes à faire du vandalisme dans les musées et j’admire leur audace. Loin de moi l’idée de vouloir leur faire la morale. Mais il reste que de telles actions laissent une étrange perception dans l’esprit du public : celle que les écologistes s’en prennent à des œuvres d’art. Un des principes de base de toute lutte est de ne pas attaquer ses alliés. Or, le milieu artistique me paraît majoritairement du côté des environnementalistes. Juste au Québec, plusieurs noms nous viennent à l’esprit : Dominic Champagne, François Bellefeuille, Édith Cochrane, Gabrielle Filteau-Chiba, Anaïs Barbeau-Lavalette, etc. Que dirait-on si quelqu’un montait sur scène lors d’un spectacle des Cowboys Fringants et arrachait le micro des mains du chanteur pour crier : « Non au pétrole! » À mes yeux, lancer de la soupe sur un Van Gogh revient un peu au même.
Durant les manifestations pour le climat, on peut entendre de la musique festive et apercevoir des affiches créées avec un souci esthétique. Cela m’amène à penser que le monde que cherchent à construire les écologistes accorde une place de choix à l’art.
Dany Lavigne, le 8 mars 2023
[1] https://juststopoil.org/ (page consultée le 19 janvier 2023)
[2] Agathe Hakoun, « Grande-Bretagne : des militants écologistes se collent à des chefs-d’œuvre pour alerter sur le climat », Connaissance des arts, 6 juillet 2022, https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/londres/grande-bretagne-des-militants-ecologistes-se-collent-a-des-chefs-doeuvre-pour-alerter-sur-le-climat-11175073/
[3] Agence France-Presse, « Des militants écologistes ont jeté de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh », La Presse, 14 octobre 2022, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-10-14/londres/des-militants-ecologistes-ont-jete-de-la-soupe-sur-les-tournesols-de-van-gogh.php
[4] Associated Press, « Allemagne: des militants jettent de la purée de pommes de terre sur un Monet », Le Soleil, 23 octobre 2022, https://www.lesoleil.com/2022/10/23/allemagne-des-militants-jettent-de-la-puree-de-pommes-de-terre-sur-un-monet-video-48187da0f5721b22fce36532f2b64cc4
[5] « Des militantes écologistes lancent du sirop d’érable sur une toile d’Emily Carr », Radio-Canada, 12 novembre 2022, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1932294/emily-carr-vandalisme-tableau-musee-vancouver
[6] Valérie Boisclair, « De soupe et de purée : pourquoi les militants écologistes ciblent-ils les musées? », Radio-Canada, 26 octobre 2022, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927667/actions-militants-musee-oeuvres-art-monet-van-gogh-explications
[7] Aurélie Lanctôt, « La soupe chaude », Le Devoir, 21 octobre 2022, https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/766153/chronique-la-soupe-chaude
[8] Lucie Oriol, « Les « Tournesols » de Van Gogh aspergés : pourquoi les activistes du climat s’en prennent aux œuvres d’art », Huffpost, 14 octobre 2022, https://www.huffingtonpost.fr/environnement/article/les-tournesols-de-van-gogh-asperges-pourquoi-les-activistes-du-climat-s-en-prennent-aux-uvres-d-art_208982.html